Le jour où Shigeru Miyamoto est devenu Chevalier

En 2006, alors que la Wii préparait son arrivée dans le monde vidéoludique, le ministère de la Culture français fût pris d’une envie de décorer trois grands créateurs de jeux vidéo de la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres. Et j’y étais.

C’était un lundi, le 13 mars 2006. En début d’après-midi, toute une flopée de journalistes s’entassait dans une des salles du ministère de la Culture, au cœur du Palais Royal à Paris. Mais aujourd’hui ces journalistes n’étaient pas comme les autres. Au delà de la presse généraliste, on croise des têtes connues. Jeuxvidéo.com, Jeux-France, et Game One pour ne citer qu’eux. C’est que ce jour-là, le jeu vidéo est à la fête, car trois grands créateurs sont mis à l’honneur, en les personnes de Shigeru Miyamoto pour ses personnages emblématiques de Nintendo, Michel Ancel pour Rayman et ses autres productions Ubisoft, et Frédérick Raynal pour Alone in the Dark et Little Big Adventure. Des lauréats bien français, sauf un.

 

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C’est avec une forte appréhension et une pointe d’excitation que l’idée de croiser M. Miyamoto s’est installée une fois arrivé dans la salle. Après avoir attendu quelques instants, la cérémonie commence et le ministre d’alors, Renaud Donnedieu de Vabres, entre en scène pour lire son discours, éloge du jeu vidéo et de la création française ou internationale. Quelques temps plus tôt, le ministre et ses équipes avaient fait valider un crédit d’impôt favorisant les créateurs de jeux vidéo en France, ce qu’il ne manqua pas d’évoquer le long de son intervention.

Quelques minutes plus tôt, entraient dans la salle les futurs décorés. Shigeru Miyamoto, accompagné de son traducteur, semblait attendre son tour. Le traducteur n’a pas semblé bon de lui traduire le discours du ministre. Pourtant, il était assez cocasse d’en écouter la teneur : on aurait presque cru que M. Donnedieu de Vabres était un joueur averti. Jumpman, Super Mario Bros. 3, Zelda, Pikmin, les plus grands noms y sont passés, avec leur gameplay soigneusement évoqué. Les caméras braquées sur lui, Shigeru Miyamoto s’est ensuite avancé pour recevoir sa médaille, remise avec une franche accolade par le ministre. Le créateur s’est ensuite placé devant le pupitre en compagnie de son traducteur pour faire son discours, retranscrit ci-dessous.

 

(en français) Merci Beaucoup. Je suis enchanté d’être ici parmi vous.

 

(en japonais) Je suis extrêmement content d’avoir été choisi par le gouvernement français pour recevoir cette distinction. Pour moi qui admire les peintres impressionnistes et plus particulièrement Monet depuis mes études de Beaux-Arts, être récompensé sur leurs terres est quelque chose d’inestimable, et je vous en remercie en mon nom, mais aussi en celui de toute mon équipe chez Nintendo qui m’accompagne depuis plus de vingt ans.
Lorsque j’ai quitté l’université je ne m’imaginais pas un jour devenir créateur de jeu vidéo, et surtout pas que ces jeux seraient joués par des personnes du monde entier.
A l’époque où je suis rentré chez Nintendo, le développement de jeux était surtout confié à des techniciens, et les artistes et les musiciens tels que moi étaient extrêmement rares dans ce milieu.
Trente ans ont passé et aujourd’hui les jeux vidéo ont évolué en un loisir interactif ce qui ne cesse pas de me surprendre et de me réjouir, et je remercie chaque jour la chance qui m’a été donnée de faire partie de ces moments cruciaux de l’évolution des jeux vidéo, et aussi d’y contribuer.
Je pense que les techniques de développement de jeux vidéo vont encore évoluer dans l’avenir, mais sans me limiter à ces techniques, ce que je souhaite le plus, c’est bien de continuer à créer des œuvres qui relient l’esprit des joueurs avec celui du créateur.
Enfin, j’aimerais remercier du fond du cœur les personnes du monde entier qui ont joué à mes créations, mes équipes chez Nintendo qui m’ont toujours accompagné dans cette formidable aventure qu’on appelle le développement du jeu vidéo, et enfin mes parents, qui m’ont toujours soutenu.

 

(en français) Merci beaucoup.

 

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Sous les applaudissements de la foule, M. Miyamoto resta quelques instants devant les objectifs crépitants des photographes.

Puis vint le temps de l’adoubement de Michel Ancel. Son parcours fut évoqué, en mettant un léger accent sur son travail avec l’adaptation du King Kong de Peter Jackson. Pas encore question de Lapins Crétins. Très content, il laissa après son discours la place à Frédérick Raynal, lui aussi assez ému. Les trois nouveaux Chevaliers se mirent ensuite côte à côte afin d’immortaliser une fois de plus l’événement.

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Tout le monde se dirigea alors, après avoir pris un verre de champagne, sur la terrasse surplombant les colonnes de Buren dans la Cour d’Honneur du Palais Royal. Le temps était au beau fixe, malgré une température assez fraîche. Pendant quelques minutes, les trois créateurs étaient disponibles pour des photos et quelques discussions. Avec mes camarades d’alors, j’ai pu discuter un peu de l’adaptation de King Kong avec Michel Ancel, qui, tout en restant très aimable, semblait aspirer à être à un autre endroit.

 

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Il était évident que la star du jour était celle venant du pays du Soleil Levant. De toutes les photos, puis interviewé à part par la télévision, Shigeru Miyamoto était l’attention de tous. Peut-être également une raison pour laquelle Michel Ancel semblait absent. Frédérick Raynal se faisait également tout petit. Hélas, comment trouver sa place quand la quasi totalité des gens sont venus pour une autre personne ? Une fois les photos et interviews faites, M. Miyamoto et ses comparses d’un jour rentrèrent à nouveau dans la salle de remise des décorations. Interrogé par le ministre sur son attachement à Paris, M. Miyamoto exprima son affection pour la capitale :

Lorsque je viens à Paris, je prend généralement une demi-journée pour me promener à Orsay, dans la rue, des choses comme ça.

 

La cérémonie se termina par une courte séance de signatures. Si de braves gaillards avaient réussi à faire signer une NES à l’extérieur du bâtiment, il était bien plus agréable de le faire à la chaleur des décorations dorées du ministère. Sous l’œil amusé de son épouse en retrait, M. Miyamoto s’attela à poser sa griffe sur des bouts de papier clairsemés, ainsi que sur ma Nintendo DS première du nom, amenée pour l’occasion.

 

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Il était là, si près. Une icône si emblématique, ayant créé des jeux aussi populaires, aussi appréciés, était à quelques centimètres. A une époque où le bonhomme se retrouve sur YouTube aux côté de personnages comme Squeezie, cela ne semble pas grand chose, mais à l’époque, c’était un peu une opportunité extraordinaire. Oui, c’était quand même sympa cette cérémonie. Presque dix ans plus tard, je m’en souviens encore. C’est pour dire.

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