Pokémon GO : le mode spectateur dont vous êtes le héros
Cela fait maintenant plusieurs semaines que l’application Pokémon GO fait sortir les jeunes et moins jeunes de toute la planète pour participer à la plus grande chasse de Pokémon jamais organisée, à travers un concept mêlant monde réel et créatures imaginaires. Et donc ?
Les Pokémon, la plupart des gens connaissent ou en ont au moins entendu parler, qu’il s’agisse des jeunes enfants ou des grands-parents, obligés de s’y intéresser à chaque occasion de cadeau. Mais les plus réceptifs aux créatures nippones, ce sont les jeunes actifs, ceux qui à la sortie des jeux originaux à la fin des années 90 avaient aux alentours d’une dizaine d’années et qui ont grandi avec le phénomène. Ce titre est pour eux.
Nintendo, avec le soutien appuyé des bases de données de Niantic Labs, société de Google/Alphabet, propose depuis la mi-juillet 2016 sur smartphones une application permettant à n’importe qui de partir à la chasse des mythiques créatures, et ce dans le monde réel grâce à la réalité augmentée et aux capteurs de position des téléphones. Une application qui reprend le principe d’une précédente création du même développeur, Ingress, basé sur la même idée de capture de balises situées dans le monde réel pour faire gagner sa faction. Sauf qu’ici, les balises sont remplacées par des arènes (ou gyms) que chaque joueur peut essayer de capturer en battant les Pokémon du maître en place. Un principe de base identique, enrichi tout de même d’un système de capture de bestioles en réalité augmentée (les Pokémon apparaissent dans le monde réel grâce à la caméra du smartphone), de gestion d’objets et d’élevage, soit à peu près tout pour se mettre en quête de devenir le meilleur dresseur, se battre sans répit, et gagner des défis.
Un jeu vous dites ?
Je n’ai volontairement pas utilisé l’appellation jeu depuis le début de cet article, et ce n’est pas par hasard. Pour avoir utilisé l’application au moment de sa sortie mondiale, environ trois semaines avant la sortie officielle en France, j’ai évidemment été intrigué. Même si je ne suis pas un fan de la franchise Pokémon, l’idée de partir à l’aventure dans le monde réel est tout de même assez excitante. Cependant, il n’aura pas fallu plus de deux jours d’utilisation sporadique pour désinstaller la bête, finalement circonspect face au contenu et à l’aspect ludique du titre. En effet, si l’on se retrouve tout de suite à enchaîner la découverte de PokéStops (ces sortes de repères du monde réel – éléments d’architecture insolites, œuvres d’arts, stations de métro,… – offrant à l’utilisateur des objets pour faciliter sa chasse), et que l’on capture nos premiers monstres avec entrain, cela tourne rapidement en rond si l’on ne fait pas que ça.
La faute à un système d’utilisation actif, forçant l’apprenti dresseur à garder le téléphone en activité s’il ne veut pas rater de PokéStop ou de créature – cela limite forcément ce que l’on peut réaliser en parallèle. Ce système, faisant les affaires des vendeurs de batteries externes, oblige donc quiconque veut utiliser pleinement le titre à s’investir corps et âme – littéralement – dans sa chasse, guidée par des indications approximatives sur la présence dans les environs de certaines créatures, liées à l’environnement réel (créatures aquatiques dans les lacs par exemple). Il est donc devenu commun, depuis quelques semaines, de croiser des personnes le téléphone à la main, à suivre ce qui se passe sur l’écran, plus ou moins en alternance avec ce qui se passe devant eux.
Mais donc, cela reste un jeu tout de même, non ? En apparence.
Ce titre m’a fait réfléchir à ce que je pourrais appeler un jeu. Pour moi, hormis les nombreux titres narratifs permettant aux joueurs de se plonger dans une histoire et un univers dont seules quelques interactions permettent de modifier l’intrigue, la clé de voûte d’un jeu vidéo est l’implication du joueur dans l’univers du jeu. Par ses choix, ses actions, et les réactions de cet univers par rapport à ces actes. Les monstres qu’il découpe, les donjons qu’il pille, les intrigues qu’il dénoue, et même parfois les chaînes de bonbons qu’il fait. Tout cela se fait sur l’interaction du joueur, et est le fruit de son habileté, sa tactique. L’utilisateur de Pokémon GO, lui, se déplace dans le monde réel entre plusieurs points, capture des créatures dont le type et la localisation sont définis par un serveur distant. Il n’a pas d’impact sur ce monde, il n’a pas même d’impact sur l’application en elle-même. Tout ce qu’il peut lui arriver n’arrive que parce que les serveurs du jeu l’ont décidé ainsi, du succès d’une capture de monstre à l’obtention d’objets. La façon d’envoyer une Pokéball n’a quasiment aucune influence sur le succès ou non de la capture d’un monstre de poche. Il ne reste que les arènes et la pose de leurres (permettant d’attirer les Pokémon au bon vouloir des serveurs), mais combien d’utilisateurs vont réellement essayer de se confronter à certains dresseurs fous ayant une armada de Pokémon gavés de boosts d’achats intégrés ?
Ce problème de manque d’interaction n’est pourtant pas imputable au type de fonctionnement du titre. Les joueurs avaient vraiment un impact sur le monde de l’application d’origine Ingress, puisque la facilité à prendre possession des repères dans le monde réel était liée aux nombre de gens s’y attelant. Il fallait donc volontairement tenter de se grouper pour aider ses partenaires de faction afin d’atteindre un but – tout aussi virtuel – mais mû par une vraie impulsion. Un autre exemple pourrait être celui d’un jeu datant du début de l’expansion des smartphones qui n’existe plus dans sa forme originelle : ZombieRun. Dans ce titre, le joueur doit tenter de rejoindre dans le monde réel une destination plus ou moins éloignée de lui, en évitant de croiser une palanquée de zombies belliqueux balancés aléatoirement sur la carte. Stratégie et vitesse sont nécessaires dans ce jeu tout bête mais diablement efficace qui m’avait fait perdre mon souffle plusieurs fois.
Il est également bon de soulever un autre problème que le système de jeu et son modèle économique vont amener. Au Japon, où l’application n’est arrivée que tardivement par rapport au reste du monde, la chaîne de restauration rapide McDonald’s a fait un chèque à Niantic Labs afin de placer des points d’intérêt à l’endroit de chaque restaurant. Et très bientôt à travers le monde, de nombreux endroits se transformeront en PokéStops, incitant les utilisateurs à faire un crochet vers un magasin, une salle de cinéma, un restaurant.
Pokémon GO n’est qu’une application gratuite de plus. Habilement déguisée, elle fournit à ses créateurs et à Google des données de déplacement de chaque terminal, et poussera à terme des contenus spécifiques à chacun. Afin de limiter l’aspect ludique, Niantic Labs a même fait fermer des services permettant de localiser des Pokémon plutôt que d’errer sans savoir sur quoi on va tomber. Alors, simple jeu de découverte où l’on se promène dehors (rivé sur son smartphone quand même) ? Outil publicitaire ? En utilisant le titre il est bon de se poser une seule question. Est-ce vous qui vous baladez, ou est-ce l’application qui vous balade ? Vous avez trois heures.
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